Monday, November 14, 2005

Servilien Manzi Sebasoni tente de corriger le tir après sa piètre prestation sur les ondes de la BBC ce samedi 12 novembre 2005.


CONFESSIONS IMPUDIQUES.

« Lieutenant Abdul Joshua Ruzibiza

RWANDA. L’histoire secrète ». Octobre 2005.

Voici que nous vient de France, non pas le beaujolais nouveau, mais la nième mouture des confessions impudiques de Ruzibiza et compagnie. Cela s’appelle aujourd’hui « RWANDA. L’histoire secrète ». Mais Ruzibiza nous en promet encore deux au moins ! En attendant la suite, nous lirons aujourd’hui le récit du « témoin capital » quitte à revenir plus tard sur ses acolytes français.

Les déçus du FPR.

Le cas de Ruzibiza est simple ; il est presque banal à force d’être fréquent. Ruzibiza a décidé de quitter l’APR (Armée patriotique rwandaise) et de vouer à son chef, Paul Kagame, une haine implacable parce que, dit-il, l’APR et son chef n’ont pas empêché le génocide des Tutsis. Les événements personnels, comme le massacre de sa famille, ne feront qu’aviver, justifier et entretenir cette haine. Le reste, même l’admiration pour Fred Rwigema, servira à la construction d’un système logique pour justifier cette haine et lui donner un objet « noble » : venger sur Kagame le malheur des Tutsis. Et, pour faire bonne mesure, dans une magnanimité inversée, Ruzibiza va clamer le génocide des Hutus par les Tutsis.

En réalité, la haine de Ruzibiza pour Paul Kagame est nourrie de nombreux malentendus. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer son chef militaire. Il s’agissait d’attachement, par conviction, à une cause, à laquelle chacun se voue selon ses forces et ses possibilités. Sur la cause également, Ruzibiza a des vues ondoyantes et contestables ; il semble n’avoir pas compris l’objectif du combat du FPR. En cela aussi, d’ailleurs, Ruzibiza n’est pas un cas isolé.

Une guerre nécessaire.

Ruzibiza ne conteste pas que la guerre entreprise par le FPR ( Front patriotique rwandais) contre le régime ethniste de Habyarimana était nécessaire. Il se demande, il est vrai (p. 88), « si le FPR devait prendre la décision d’attaquer le Rwanda ». Sur cette question Ruzibiza oscille constamment entre la forte conviction que oui et l’hésitation, après coup, devant le spectacle des atrocités de la guerre. Au départ il admet qu’il s’agissait de reconquérir une patrie où « les Tutsis avaient même moins de droits qu’un expatrié dans leur pays » ( p. 80), où les Tutsis, « étrangers dans leur pays » étaient des « valets soumis par la force des armes « ( p. 89) et au moment où les Tutsis de l’exil devenaient intolérables pour les nationaux.

Les Rwandais en exil n’avaient plus le choix. Tel officier supérieur de l’APR place sa détermination de combattre pour le retour au Rwanda au moment où, chassés par Obote et refoulés par Habyarimana, un grand nombre de Tutsis se sont donné la mort à la frontière du Rwanda et de l’Ouganda.

La guerre a eu lieu, affreuse comme toutes les guerres ; elle a probablement tué beaucoup de monde, trop de monde, des criminels et des innocents. Quant à prétendre que l’APR voulait tuer tous les Hutus, nulle personne sensée n’y croira. L’APR ne pouvait pas réussir à faire « une guerre zéro morts » . C’est sans doute, hélas ! dans ce sens que se justifie l’adage selon lequel « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », un adage si souvent ressassé comme une preuve accablante des mauvaises intentions du FPR. Non pas l’indifférence à la mort de citoyens – otages- tutsis, mais le risque inévitable de tuer même des innocents, Hutus ou Tutsis.

La guerre, si elle a été nécessaire, elle n’était pas inévitable. Sans remonter à 1959, au mauvais choix de société fait par Kayibanda, si Habyarimana avait ouvert un véritable « espace de liberté » - à savoir, avant tout autre, l’espace national – le FPR n’aurait pas eu besoin de faire une guerre ni même d’exister.

Le Rwanda n’est plus une prison.

La guerre a été faite et l’APR a libéré le Rwanda. Oui ! L’APR a libéré le Rwanda et le Rwanda n’est plus une prison.

Il y avait, dans un pays d’Europe, deux jeunes amoureux rwandais. Elle décida de rentrer au Rwanda, lui n’osa pas y rentrer tout de suite. Un jour l’amour devenant plus fort, et du Rwanda et de sa belle, il se présenta à la frontière avec le Burundi ; il fut refoulé. Il essaya du côté de Bukavu (RDC) ; il échappa de justesse à l’emprisonnement. Il essaya du côté de Goma ; en vain. Il appela sa belle qui essaya de le rejoindre en passant par Gisenyi ; elle fut refoulée. Il apprendra plus tard, en exil, qu’elle s’était mariée et avait eu beaucoup d’enfants, qui furent emportés tous dans le génocide avec leurs parents…

Le Rwanda était une prison dont la visite était interdite même aux amoureux. C’est par remords que certains Rwandais de la diaspora s’efforcent aujourd’hui de peindre le nouveau Rwanda à l’image de celui qu’ils ont connu ! Ils y entrent et en sortent à leur gré, prenant soin seulement de cacher leur statut d’exilé d’ici ou là. Un statut qu’il faut absolument protéger à coup de mensonges et d’affabulations.

Le Rwanda n’est plus une prison qu’on ne visite pas, comme au temps de Kayibanda et de Habyarimana. Il est ouvert à tout Rwandais. Il reste, sans aucun doute, prisonnier d’autres chaînes : l’ethnisme, l’ignorance, la pauvreté. Les Rwandais s’efforcent, au Rwanda, de briser toutes ces chaînes. Tandis qu’une flopée d’hommes et de femmes, qui eurent, près d’un demi-siècle durant, le monopole de l’école, gâchent leurs talents dans des exils frelatés.

Une guerre de libération.

Il ne faut pas se focaliser sur Ruzibiza et compagnie. Il fait partie d’un groupe de Rwandais qui n’ont pas compris la nature particulière d’une guerre de libération.

Une armée de libération n’est pas une sorte de Croix Rouge qui accourt au secours des victimes à tout instant, en tout endroit. Elle n’est pas non plus une ONG humanitaire, comme l’aurait voulue Ruzibiza pour l’APR. L’armée de libération, ne pouvant tout faire, privilégie le durable au détriment du plus pressé.

Ruzibiza aurait voulu que l’APR en colonne sur une route ait accouru à tout appel au secours, à droite et à gauche de son chemin. On voit d’ici l’APR disloquée tomber dans le moindre piège pour avoir voulu se transformer en une équipe de secouristes. Au demeurant chaque fois qu’elle l’a pu, l’APR a secouru ceux qui étaient menacés.

Ruzibiza qui nous dit s’y connaître en stratégie (« J’ai été militaire, je connais la stratégie militaire et je la respecte » p.354 ) déplore que, au sein de l’APR, « personne ne pouvait aller combattre ailleurs que là où il avait été envoyé, et (que) celui qui passerait outre, s’il perdait ses hommes ou s’ils étaient blessés, aurait à rendre des comptes » (p.351). Ruzibiza ne voit pas que ceci est un hommage involontaire à la discipline d’une armée digne de ce nom ; il n’y voit pas, chez Paul Kagame, le souci d’épargner la vie de ses hommes ! Ruzibiza est-il un scout ou un combattant ?

Des citoyens otages.

La guerre de libération, au demeurant, ressemble à une récupération d’otages. Les décideurs, dans les deux cas, se trouvent face aux mêmes risques et leur décision est difficile. La république ethnique, aussi bien sous Kayibanda que sous Habyarimana, a toujours considéré que les Tutsis de l’intérieur étaient des otages : chaque fois que leurs congénères attaquaient le Rwanda, ils étaient arrêtés, emprisonnés, tués.

La république ethnique était d’autant plus à l’aise que ses parrains, « chrétiens et civilisés » les y encourageaient par leur indifférence et même les y aidaient. Les « byitso » ( complices de l’intérieur) de 1963 –1964 auraient été exécutés avec l’aide technique de coopérants militaires belges ( Alexis Kagame. Un Abrégé d’hist. Du Rwanda. p. 356 – 357). Les « byitso » de 1990 furent arrêtés, emprisonnés, tués pendant que les ONG étaient occupées à fournir au régime de Habyarimana un certificat de bonnes mœurs et de bonne conduite ( « Rwanda : 101 expatriés témoignent ». LE SOIR du 22 Octobre 1990).

Le FPR, au vu des risques pour les Tutsis de l’intérieur, devait-il s’abstenir de libérer le Rwanda ? Beaucoup plus de Tutsis qu’on ne croit répondent que oui, comme Ruzibiza par endroits. Ou plutôt ils ne donnent pas de réponse claire et échafaudent des alternatives qui ne tiennent pas la route. « Kagame savait qu’en continuant la guerre, et même en attaquant le Rwanda, des centaines de milliers de Tutsis allaient mourir. Or il a continué la guerre. Donc il ne voulait pas sauver les Tutsis : il cherchait le pouvoir pour le pouvoir ». Ruzibiza tantôt se démarque de ce pseudo - raisonnement, tantôt flirte avec lui.

« Le pouvoir pour le pouvoir » ! Mais comment Paul Kagame pouvait-il prétendre partager le pouvoir, lui qui, aux yeux du stratège Ruzibiza, ne menait que des combats inutiles, soucieux uniquement de « prendre des collines et des marais sans utilité » ? Ruzibiza le stratège, qui admet « qu’il existe des endroits stratégiques qu’il faut prendre pour la bonne poursuite de la guerre » (p. 354), reproche aux « militaires de l’APR de combattre « pour conquérir des arbres et des pierres » ( p. 355) pendant que des innocents tombaient !

Incohérences !

On peut s’interroger sur la capacité de cohérence de Ruzibiza quand on lit sous sa plume que « beaucoup, dont moi-même, estiment qu’il aurait été préférable d’attendre que les voies politiques et diplomatiques soient épuisées » et qu’il enchaîne en disant « pour les jeunes gens dont je faisais partie, ce moment avait trop tardé » ( 91). Le jeune Ruzibiza, manifestement, entre dans la guerre avec une maturité peu assurée; il ne faudra pas s’étonner de ses hésitations ultérieures, de son inversion de sympathie et, pour finir, de son lâchage sinon de sa plongée dans la trahison.

Ruzibiza en vient à éprouver une sympathie confuse pour ceux qu’il appelle indifféremment ( et avec raison) tantôt le MRND ( Mouvement révolutionnaire national pour le développement), tantôt les FAR ( Forces armées rwandaises) ou Interahamwe et même tout simplement Habyarimana. Il les déteste certes, mais avec une telle tendresse et une telle indulgence ! Tandis qu’il réserve une grande réprobation au FPR que la « puissance de feu et (les) victoires éclatantes » ont rendu « très arrogant » ( p. 200). Les braves Interahamwe estimaient que « pour chasser les Inkotanyi ( nom rwandais du FPR) de la ville de Kigali, il fallait tuer tous les Tutsis » ; mais, pour Ruzibiza, « la situation se présentait différemment dans les campagnes où il s’agissait plutôt de distinguer les Tutsis « opposants » des Tutsis « complices » ( p. 229). !!

On sait que Habyarimana n’entrait pas dans ces subtilités et que, dans les campagnes, les Interahamwe ne faisaient pas le détail et massacraient allègrement le vieillard illettré et la vieille qui ignorait ce qu’est la politique, l’enfant de tout âge et même celui qui n’était pas né, pourvu qu’il eût quelque sang tutsi.

Pour « le témoin capital », Bagosora est préférable à Kagame, puisque le premier se contentait de promettre l’Apocalypse et que Kagame se chargeait de déclencher l’Apocalypse » ( p. 232). Ruzibiza se meut dans quel monde ?!

Le reste est à l’avenant. La même inversion naïve se répète au sujet de la guerre contre les infiltrés. La magnanimité de Ruzibiza consiste à accabler l’APR et à atténuer la responsabilité d’ALIR ( Armée de libération du Rwanda) comme naguère celle des FAR. Ces pauvres membres d’ALIR qui « obligeaient parfois la population à servir de boucliers » !( p. 412)

Il en est ainsi de Kibeho, le fameux camp des déplacés à l’intérieur du Rwanda. Ruzibiza estime que l’APR a « en temps de paix (sic) tué des civils non armés (sic)» (p.369), tout en disant que « les interahamwe .. ont tiré sur deux soldats » (p.374) et que, à l’intérieur du camp, « ceux qui détenaient des armes intimidaient ceux qui voulaient sortir »(p.376). Le « témoin capital », manifestement, pratique volontiers, à l’égard de ceux qu’il est censé combattre, une indulgence minée de contradictions

Double génocide !

Il y a asssez d’actes concrets du FPR et sans doute assez de Hutus au Rwanda pour témoigner que le FPR n’a jamais songé à « tuer ( les Hutus) … parce qu’ils étaient nés hutus ». Le pilote de l’avion américain, qui a bombardé la ville de Dresde et tué des nazis et des non - nazis, voulait-il exterminer les Allemands ? L’ affirmation absurde du double génocide, contredite par les faits, pendant et après la guerre, court tout au long du récit du « témoin principal » ; même sa « marraine » française éprouve le besoin de se désolidariser du « témoin capital »..

Par un désespoir que l’on comprend et une inversion étrange, Ruzibiza ne se contente pas d’affirmer qu’il y a eu un double génocide, celui des Hutus et celui des Tutsis ; il prend le FPR pour coupable des deux génocides.

Ruzibiza estime que « le FPR multipliait les attaques afin d’inciter la population à sen prendre aux Tutsis » (p. 126). Il ne verra que plus tard (p. 149) le chantage du MRND qui veut « lui (le FPR) faire savoir que chaque fois qu’il attaquerait, les Tutsis en feraient les frais ». Le « faire savoir » n’était d’ailleurs pas nécessaire pour ceux qui avaient suivi l’histoire récente du Rwanda. Kayibanda, dans son discours de mars 1964, en avait averti les Tutsis ; Dijoud, conseiller à l’Elysée, l’avait rappelé à Paul Kagame : « Si vous vous avisez d’attaquer Kigali, vous trouverez tous les vôtres ( les Tutsis) exterminés » .

Par moment, à lire Ruzibiza, on oublie qu’il y a un génocide des Tutsis qui se déroule et que ce génocide ne se fait pas tout seul; on oublierait même qu’on est en pleine guerre. On voit des soldats de l’APR uniquement préoccupés de massacrer des Hutus ! On se demande alors s’il n’y a pas, chez le témoin, sous le choc des événements, une désagrégation de l’esprit qui lui fait perdre le contact avec la réalité.

Pour conclure.

La guerre et le génocide en ont brisé plus d’un. Il n’y a pas que Ruzibiza qui en est sorti fragilisé. Aucun Rwandais n’est capable de regarder sans vertige l’abîme sans retour où les siens ont été jetés. Cela suffirait – si on était « normal » – à nous faire crier sincèrement « jamais plus ça » et à nous réconcilier.

Il est vain, par ailleurs, de vouloir rentabiliser le désarroi des Rwandais pour une justice douteuse. Les soldats perdus de l’APR, ceux qui veulent utiliser leurs confessions impudiques et les cris de leur désespoir, ne seront pas crédibles.

Servilien M. Sebasoni

Bruxelles, Novembre 2005

Abatabizi bicwa no kutabimenya.
Nikozitambirwa.

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