Genocide de 1994 au Rwanda: Interview de Pierre Pean - " le Journal du mardi" n° 243 du 22 novembre 2005
Pierre Péan, «Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994. enquête», Mille et une nuits, Paris, 2005, 544 pages.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Je suis sensibilisé au Rwanda depuis très longtemps. Ma fille vivait au Burundi voisin. Et j’ai vécu en direct les événements à travers mon téléphone. J’entendais les balles siffler à l’hôtel des milles collines à Kigali, lorsqu’un universitaire m’a appelé pour essayer de sauver les cinq enfants d’Agathe le premier ministre issu de l’opposition au président Habyarimana qui venait d’être assassiné. J’ai transmis la demande à l’Elysée qui a donné les instructions pour les sauver. A l ‘époque, je travaillait à mon livre su François Mitterrand, Une jeunesse française. J’ai discuté avec lui et me souviens d’une phrase en particulier : « savez-vous que les tutsis massacre aussi ? ». J’ai toujours regretté de n’avoir rien pu en faire un livre dès 1994, mais il était impossible d’écrire deux livres en même temps. En 1997, j’ai publié un premier papier dans la revue Actuel pour expliquer que l’attentat contre Habyarimana était l’œuvre de Kagamé. Mais à l’époque je suis resté très réservé parce que c’était à contre-courant.
Sur quel Base à ce moment ?
Un des amis africains a été en relation avec un des membres du network commando qui a descendu l’avion présidentiel, l’élément déclencheur des principaux massacres. Donc en 1997 j’avais la certitude du fait j’ai republié un très long article en 2000, qui allait presque aussi loin que les constatation du juge Bruguière. Je suis donc resté très sensibilisé.
Il y a aussi une volonté de rétablir l’image de la France dans ce drame, et celle de François Mitterrand ?
La France était très présente par certains comme l’Allemagne, l’armée française comme des Waffen SS, et François Mitterrand comme Hitler. Ce sont des termes qui ont été utilisé. Mais au delà de cela, il y’a le fait que le système explicatif qui a été distillé petit à petit dans les associations de défense des droits fondamentaux et de développement, est une immense imposture. C’st donc un ensemble de raisons qui ont fait que j’y suis allé, finalement, alors que personne ne voulait y aller.
Il est toujours hasardeux d’interpréter les actes des Etats de l’extérieur. Mais en l’occurrence, vous apportez des documents semi-officiels inédits…
J’ai eu accès à la presque totalité des papiers de François Mitterrand. Les rapports qui lui étaient adressés, les procès-verbaux des réunions du gouvernement de l’époque, les notes et les appréciations qu’il y opposait etc.
Comment expliquer que la France se soit aussi mollement défendue ?
On peut critiquer la France dans ce dossier : pourquoi s’est-elle engagé, pourquoi n’a-t-elle pas réussi…
Mais de là à affirmer qu’elle est complice de génocide… ce n’est plus du même ordre. On n’est plus dans la critique mais dans l’odieuse accusation. Je n’ai jamais compris pourquoi la France a pris toutes ces critiques sans vraiment réagir, même si j’ai évidement des éléments de réponses. Je pense que le mot « génocide » a tétanisé tout le monde, en France comme ailleurs. Dès qu’on critiquait l version officiel, on risquait d’être traité de négationniste. Il y’a eu ensuite, la cohabitation entre le président de gauche (Mitterrand) et le gouvernement de droite (Edouard Balladur). Toute l’opération « Turquoise » se déroule durant cette cohabitation, on voit bien les hésitations. Et ensuite vient Jacques Chirac, qui ne veut plus entendre parler de Mitterrand, et de Balladur. Donc le champ était ouvert pour que toutes les attaques aient eu lieu, sans qu’il y’ait de réaction.
Qu’est ce qui vous a le plus impressionné dans cette enquête ?
C’est le première fois qu’il m’arrive de voir des gens baraqués, pas des coquelicots, de voir ces gens pleurer, dès qu’on aborde ce sujet-là. Il faut tout de même s’imaginer que tous ceux qui ont fait l’opération « Turquoise », lorsqu’ils sont rentrés chez eux, on les a accusés de complicité de génocide. C’est quelque chose d’une violence incroyable. Ils se sont tus pendant plus de dix ans, et n’ont accepté de parler que parce qu’ils ont sentis que j’abordait ce dossier avec honnêteté. J’ai gardé le souvenir de Bruno Delaye alors patron de la cellule africaine de l’Elysée, les larmes aux yeux, s’interrogeant à haute voix : « qu’est ce qu’on pu faire pour mériter de telles accusations ? »
Comment expliquer que l’accusation ait aussi facilement « pris » ?
Il y’a une culpabilité coloniale qui reste très forte dans beaucoup de milieux, qui l’a emporté sur toute autre considération. Cela entrait dans le rôle coloniale de la France, que d’aucuns désignent sous le terme de la « Françafrique ». alors que les choses ont changé depuis longtemps...
Est-ce que le débat sur le concept de « génocide » et son extension à d’autres massacres que la Shoa a pesé ?
Bien sûr, on comprend bien certains réflexes, en particulier celui du « plus jamais ça ! ».
Mais il y’a eu un dévoiement absolument incroyable. Et certains milieux juifs (en Belgique le CCLJ,centre Communautaire Laïc juif , ndlr ) se sont laissé abuser. Or, quand on se penche sur les faits, on constate qu’il n y a aucune correspondance entre ce qui s’est passé en Europe et ce qui s’est passé au Rwanda.
Dans un cas , il y a une guerre aux méthodes absolument terribles, et dans l’autre cas , des bourreaux veulent anéantir un peuple. On a voulu assimiler les deux, alors cela n’est pas du tout du même ordre.
Vous concluez qu’il y’a eu deux génocides au Rwanda ?
J’affirme seulement que le génocide tel qu’il est décrit ne correspond pas à la réalité, ce qui ne veut dire évidement pas dire que je nie les choses horribles qui se sont passé au Rwanda. Mais je pense que ce n’est qu’une partie de la vérité, il convient de tout relire depuis le 1er octobre 1990.
Par rapport à vos autres enquêtes qui ont toutes donné lieu à controverse, celle-ce est elle particulière ?
J’ai le sentiment qu’un mur peut être encore plus difficile à percer. En Belgique, mais en France aussi. Il ne faut pas oublier que depuis 1994, on répète à tout le monde qu’en dehors des deux acteurs principaux, il y’a deux responsables : l’Eglise catholique et la France. Je n’ai strictement rien à rapprocher à tous les journalistes qui, pendant l’été 1994 ont véhiculé certaines idées sous le coup de l’émotion : j’aurais sans doute fait la même chose. Le problème, c’est après. C’est pour cela que je consacre tout un chapitre à une journaliste belge qui a beaucoup d’influence même en France (Collette Braeckman du journal le « soir », ndlr).
C’est elle qui a été le plus loin dans des affirmations unilatérales et carrément mensongères.
La vérité a ses droits, elle devait de toute façon finir par éclater petit à petit, au gré de la publication de témoignages sur la période et sur le régime de Kagamé. Mais au bout du compte, il restera tout de même un vrai problème : le rôle des journalistes, et leur rapport à la vérité depuis ces dix dernières années.
Une nouvelle fois les médias en sortent gravement déconsidérés.
Oui c’est vrai en France comme en Belgique entier. Emotion et vérité sont deux choses différentes. L’émotion est respectable, mais ne conduit pas nécessairement vers la vérité.
La Belgique occupe une large part dans votre enquête…
Au départ, la question du Rwanda a été traitée en Belgique comme une affaire belgo belge. Les libéraux se sont saisis du dossier pour ferrailler contre les démocrates-chrétiens et de l’Eglise catholique qui soutenaient Habyarimana, le Président du Rwanda.
Ils ont pris le parti du FPR qu’ils ont traité comme un mouvement de libération. Et, jusqu’aujourd’hui, leur soutien n’a jamais manqué à Paul Kagamé. Ils ont constamment accepté puis imposé sa vision truquée de l’histoire. Ce parti pris a été particulièrement visible lors de la commission d’enquête sénatoriale sur le Rwanda où rien n’a été fait pour faire la lumière sur la mission Lotin et sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, qui est pourtant le facteur déclenchant du génocide. La gestion du dossier Rwanda a contribué à ramener les libéraux au pouvoir.
Votre conclusion
Dans cette histoire, il n y’a pas de méchants. Il y’a une guerre. Avec des méthodes qui nous dépassent complètement. A la fois en termes de violences mais aussi en termes de propagande. On a sous-estimé Kagamé. Et la communauté internationale s’est tellement engagée à ses côtés, qu’il est compliqué de se déjuger maintenant. J’étais content de terminer cette enquête. Tellement il y’ a un côté écoeurant de trouver à quel point on a utilisé la désinformation trompé les bons sentiments des gens. Beaucoup d’acteurs pétris de bons sentiments -d’autres pas– ont joué avec le feu.
Abatabizi bicwa no kutabimenya.
Nikozitambirwa.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Je suis sensibilisé au Rwanda depuis très longtemps. Ma fille vivait au Burundi voisin. Et j’ai vécu en direct les événements à travers mon téléphone. J’entendais les balles siffler à l’hôtel des milles collines à Kigali, lorsqu’un universitaire m’a appelé pour essayer de sauver les cinq enfants d’Agathe le premier ministre issu de l’opposition au président Habyarimana qui venait d’être assassiné. J’ai transmis la demande à l’Elysée qui a donné les instructions pour les sauver. A l ‘époque, je travaillait à mon livre su François Mitterrand, Une jeunesse française. J’ai discuté avec lui et me souviens d’une phrase en particulier : « savez-vous que les tutsis massacre aussi ? ». J’ai toujours regretté de n’avoir rien pu en faire un livre dès 1994, mais il était impossible d’écrire deux livres en même temps. En 1997, j’ai publié un premier papier dans la revue Actuel pour expliquer que l’attentat contre Habyarimana était l’œuvre de Kagamé. Mais à l’époque je suis resté très réservé parce que c’était à contre-courant.
Sur quel Base à ce moment ?
Un des amis africains a été en relation avec un des membres du network commando qui a descendu l’avion présidentiel, l’élément déclencheur des principaux massacres. Donc en 1997 j’avais la certitude du fait j’ai republié un très long article en 2000, qui allait presque aussi loin que les constatation du juge Bruguière. Je suis donc resté très sensibilisé.
Il y a aussi une volonté de rétablir l’image de la France dans ce drame, et celle de François Mitterrand ?
La France était très présente par certains comme l’Allemagne, l’armée française comme des Waffen SS, et François Mitterrand comme Hitler. Ce sont des termes qui ont été utilisé. Mais au delà de cela, il y’a le fait que le système explicatif qui a été distillé petit à petit dans les associations de défense des droits fondamentaux et de développement, est une immense imposture. C’st donc un ensemble de raisons qui ont fait que j’y suis allé, finalement, alors que personne ne voulait y aller.
Il est toujours hasardeux d’interpréter les actes des Etats de l’extérieur. Mais en l’occurrence, vous apportez des documents semi-officiels inédits…
J’ai eu accès à la presque totalité des papiers de François Mitterrand. Les rapports qui lui étaient adressés, les procès-verbaux des réunions du gouvernement de l’époque, les notes et les appréciations qu’il y opposait etc.
Comment expliquer que la France se soit aussi mollement défendue ?
On peut critiquer la France dans ce dossier : pourquoi s’est-elle engagé, pourquoi n’a-t-elle pas réussi…
Mais de là à affirmer qu’elle est complice de génocide… ce n’est plus du même ordre. On n’est plus dans la critique mais dans l’odieuse accusation. Je n’ai jamais compris pourquoi la France a pris toutes ces critiques sans vraiment réagir, même si j’ai évidement des éléments de réponses. Je pense que le mot « génocide » a tétanisé tout le monde, en France comme ailleurs. Dès qu’on critiquait l version officiel, on risquait d’être traité de négationniste. Il y’a eu ensuite, la cohabitation entre le président de gauche (Mitterrand) et le gouvernement de droite (Edouard Balladur). Toute l’opération « Turquoise » se déroule durant cette cohabitation, on voit bien les hésitations. Et ensuite vient Jacques Chirac, qui ne veut plus entendre parler de Mitterrand, et de Balladur. Donc le champ était ouvert pour que toutes les attaques aient eu lieu, sans qu’il y’ait de réaction.
Qu’est ce qui vous a le plus impressionné dans cette enquête ?
C’est le première fois qu’il m’arrive de voir des gens baraqués, pas des coquelicots, de voir ces gens pleurer, dès qu’on aborde ce sujet-là. Il faut tout de même s’imaginer que tous ceux qui ont fait l’opération « Turquoise », lorsqu’ils sont rentrés chez eux, on les a accusés de complicité de génocide. C’est quelque chose d’une violence incroyable. Ils se sont tus pendant plus de dix ans, et n’ont accepté de parler que parce qu’ils ont sentis que j’abordait ce dossier avec honnêteté. J’ai gardé le souvenir de Bruno Delaye alors patron de la cellule africaine de l’Elysée, les larmes aux yeux, s’interrogeant à haute voix : « qu’est ce qu’on pu faire pour mériter de telles accusations ? »
Comment expliquer que l’accusation ait aussi facilement « pris » ?
Il y’a une culpabilité coloniale qui reste très forte dans beaucoup de milieux, qui l’a emporté sur toute autre considération. Cela entrait dans le rôle coloniale de la France, que d’aucuns désignent sous le terme de la « Françafrique ». alors que les choses ont changé depuis longtemps...
Est-ce que le débat sur le concept de « génocide » et son extension à d’autres massacres que la Shoa a pesé ?
Bien sûr, on comprend bien certains réflexes, en particulier celui du « plus jamais ça ! ».
Mais il y’a eu un dévoiement absolument incroyable. Et certains milieux juifs (en Belgique le CCLJ,centre Communautaire Laïc juif , ndlr ) se sont laissé abuser. Or, quand on se penche sur les faits, on constate qu’il n y a aucune correspondance entre ce qui s’est passé en Europe et ce qui s’est passé au Rwanda.
Dans un cas , il y a une guerre aux méthodes absolument terribles, et dans l’autre cas , des bourreaux veulent anéantir un peuple. On a voulu assimiler les deux, alors cela n’est pas du tout du même ordre.
Vous concluez qu’il y’a eu deux génocides au Rwanda ?
J’affirme seulement que le génocide tel qu’il est décrit ne correspond pas à la réalité, ce qui ne veut dire évidement pas dire que je nie les choses horribles qui se sont passé au Rwanda. Mais je pense que ce n’est qu’une partie de la vérité, il convient de tout relire depuis le 1er octobre 1990.
Par rapport à vos autres enquêtes qui ont toutes donné lieu à controverse, celle-ce est elle particulière ?
J’ai le sentiment qu’un mur peut être encore plus difficile à percer. En Belgique, mais en France aussi. Il ne faut pas oublier que depuis 1994, on répète à tout le monde qu’en dehors des deux acteurs principaux, il y’a deux responsables : l’Eglise catholique et la France. Je n’ai strictement rien à rapprocher à tous les journalistes qui, pendant l’été 1994 ont véhiculé certaines idées sous le coup de l’émotion : j’aurais sans doute fait la même chose. Le problème, c’est après. C’est pour cela que je consacre tout un chapitre à une journaliste belge qui a beaucoup d’influence même en France (Collette Braeckman du journal le « soir », ndlr).
C’est elle qui a été le plus loin dans des affirmations unilatérales et carrément mensongères.
La vérité a ses droits, elle devait de toute façon finir par éclater petit à petit, au gré de la publication de témoignages sur la période et sur le régime de Kagamé. Mais au bout du compte, il restera tout de même un vrai problème : le rôle des journalistes, et leur rapport à la vérité depuis ces dix dernières années.
Une nouvelle fois les médias en sortent gravement déconsidérés.
Oui c’est vrai en France comme en Belgique entier. Emotion et vérité sont deux choses différentes. L’émotion est respectable, mais ne conduit pas nécessairement vers la vérité.
La Belgique occupe une large part dans votre enquête…
Au départ, la question du Rwanda a été traitée en Belgique comme une affaire belgo belge. Les libéraux se sont saisis du dossier pour ferrailler contre les démocrates-chrétiens et de l’Eglise catholique qui soutenaient Habyarimana, le Président du Rwanda.
Ils ont pris le parti du FPR qu’ils ont traité comme un mouvement de libération. Et, jusqu’aujourd’hui, leur soutien n’a jamais manqué à Paul Kagamé. Ils ont constamment accepté puis imposé sa vision truquée de l’histoire. Ce parti pris a été particulièrement visible lors de la commission d’enquête sénatoriale sur le Rwanda où rien n’a été fait pour faire la lumière sur la mission Lotin et sur l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, qui est pourtant le facteur déclenchant du génocide. La gestion du dossier Rwanda a contribué à ramener les libéraux au pouvoir.
Votre conclusion
Dans cette histoire, il n y’a pas de méchants. Il y’a une guerre. Avec des méthodes qui nous dépassent complètement. A la fois en termes de violences mais aussi en termes de propagande. On a sous-estimé Kagamé. Et la communauté internationale s’est tellement engagée à ses côtés, qu’il est compliqué de se déjuger maintenant. J’étais content de terminer cette enquête. Tellement il y’ a un côté écoeurant de trouver à quel point on a utilisé la désinformation trompé les bons sentiments des gens. Beaucoup d’acteurs pétris de bons sentiments -d’autres pas– ont joué avec le feu.
Abatabizi bicwa no kutabimenya.
Nikozitambirwa.
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