Rwanda: refuser la tentation revisionniste
Accréditer la thèse de la responsabilité du président Paul Kagamé dans le massacre des Tutsis ne doit pas servir à occulter les responsabilités des auteurs des crimes.
Rwanda: refuser la tentation révisionniste
Par CLAUDINE VIDAL
Claudine Vidal est coauteur avec Rony Brauman et Stephen Smith de «Politique de terreur et privilège d'impunité au Rwanda»», «Esprit», août-septembre 2000.
Le jeudi 2 novembre 2000
L'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président de la République rwandaise, Juvénal Habyarimana, redevient, depuis plusieurs mois, un événement de presse. Toujours la même question: qui a commandité le tir du missile meurtrier? Aucune investigation n'a jusqu'alors apporté de réponse fondée sur un début de preuve. Pourtant, les possesseurs de «convictions intimes», et ils sont nombreux, n'ont pas cessé d'en faire état comme de quasi-certitudes. Pour ma part, je n'ai pas la moindre conviction intime sur l'identité des commanditaires de l'attentat. Mais je suis surprise des effets produits par de récentes «révélations». S'il était avéré que le FPR (Front patriotique rwandais) et le général Kagamé étaient effectivement responsables du crash, faudrait-il pour autant en conclure, comme l'a fait le procureur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, que «toute l'histoire du génocide devrait être réécrite».
Rappelons les termes du débat. Deux camps s'opposent. Selon les uns, ce serait un groupe hutu extrémiste qui aurait perpétré l'assassinat du Président. En effet, ce dernier paraissait résigné à appliquer les accords de paix, dont la conséquence était un partage du pouvoir avec le Front patriotique rwandais, parti des réfugiés tutsis. Option inacceptable pour les extrémistes hutus, d'où l'attentat en vue de bloquer le processus de paix et de passer au massacre des Tutsis de l'intérieur. Selon l'autre camp, c'est le FPR qui aurait abattu le Falcon présidentiel. Ses dirigeants comptaient sur le chaos provoqué par la disparition du Président pour reprendre la guerre et s'emparer du pouvoir.
Or, le 1er mars dernier, un quotidien canadien, le National Post, faisait état d'une source jusqu'alors inconnue. Il s'agissait d'
un mémorandum non officiel, rédigé en 1997 par un ancien enquêteur du Tribunal pénal international, transmis au procureur de ce tribunal et depuis gardé secret. Selon ce mémorandum, un commando du FPR aurait abattu l'avion sur ordre de l'actuel président du Rwanda, le général Paul Kagamé. L'article fit grand bruit.
L'effet du mémorandum a été renforcé par les déclarations publiques de Jean-Pierre Mugabe, un dissident du FPR, exilé aux Etats-Unis. En avril dernier, cet ex-officier du renseignement, qui fut proche des dirigeants du FPR, accusait Paul Kagamé et annonçait détenir des éléments probants qu'il se réservait de transmettre à la justice. En France, le juge Bruguière a été saisi de l'instruction de l'affaire en mars 1998. Pierre Péan, dans la parution d'octobre du Vrai Papier Journal, annonce que le juge serait prêt à délivrer «d'ici à six mois un mandat d'arrêt international contre Paul Kagamé en personne».
Faut-il, pour autant, «réécrire toute l'histoire du génocide»? Que ces «révélations» soient probantes ou non, que le juge Bruguière, ou tout autre enquêteur, arrive dans un avenir plus ou moins proche à établir la culpabilité de Paul Kagamé, cela ne changera rien au fait que le massacre systématique des Rwandais tutsis avait été conçu et préparé depuis des mois par des politiciens, des militaires et des autorités territoriales déterminés à la politique du pire. Or les derniers rebondissements médiatiques ont réactivé des discours qui font de la fureur populaire, provoquée par la mort du Président, le seul ressort du carnage. Il s'agirait donc d'un génocide sans préméditation. Résumons: l'assassinat du président Habyarimana a déclenché le massacre des Tutsis, or le FPR est l'auteur de cet assassinat, donc le FPR est responsable du génocide. Dans cette logique, les avocats, défenseurs de Rwandais poursuivis pour génocide et crimes contre l'humanité, ont demandé au tribunal d'ouvrir une enquête: si le FPR avait commis l'attentat, cela innocenterait leurs clients.
Quoi qu'il en soit de ces plaidoiries, aussi lente soit-elle la justice internationale a démontré des engagements criminels individuels: le massacre systématique des Tutsis n'a pas été un processus impersonnel et inorganisé.
Les discours révisionnistes s'emparent des effets médiatiques, utilisent les rumeurs, exploitent les obstacles qui s'opposent au travail de vérité. Il n'empêche, celui-ci a connu des avancées décisives. Ainsi, l'enquête, menée conjointement par Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale de droits de l'homme (FIDH), a produit des documents concluants sur la mise au point, avant le 6 avril 1994, d'un dispositif de massacre et a montré dans plusieurs localités la mise en œuvre de ce dispositif. L'enquête a également révélé les crimes massifs commis par le FPR au cours de sa progression militaire au Rwanda entre 1990 et 1994. Aussi difficile que soit l'établissement des faits, il a été et il reste possible de savoir quels hommes, organisés pour faire tuer, en ont donné l'ordre et quels hommes ont tué. A condition de le rechercher.
Rwanda: refuser la tentation révisionniste
Par CLAUDINE VIDAL
Claudine Vidal est coauteur avec Rony Brauman et Stephen Smith de «Politique de terreur et privilège d'impunité au Rwanda»», «Esprit», août-septembre 2000.
Le jeudi 2 novembre 2000
L'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président de la République rwandaise, Juvénal Habyarimana, redevient, depuis plusieurs mois, un événement de presse. Toujours la même question: qui a commandité le tir du missile meurtrier? Aucune investigation n'a jusqu'alors apporté de réponse fondée sur un début de preuve. Pourtant, les possesseurs de «convictions intimes», et ils sont nombreux, n'ont pas cessé d'en faire état comme de quasi-certitudes. Pour ma part, je n'ai pas la moindre conviction intime sur l'identité des commanditaires de l'attentat. Mais je suis surprise des effets produits par de récentes «révélations». S'il était avéré que le FPR (Front patriotique rwandais) et le général Kagamé étaient effectivement responsables du crash, faudrait-il pour autant en conclure, comme l'a fait le procureur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, que «toute l'histoire du génocide devrait être réécrite».
Rappelons les termes du débat. Deux camps s'opposent. Selon les uns, ce serait un groupe hutu extrémiste qui aurait perpétré l'assassinat du Président. En effet, ce dernier paraissait résigné à appliquer les accords de paix, dont la conséquence était un partage du pouvoir avec le Front patriotique rwandais, parti des réfugiés tutsis. Option inacceptable pour les extrémistes hutus, d'où l'attentat en vue de bloquer le processus de paix et de passer au massacre des Tutsis de l'intérieur. Selon l'autre camp, c'est le FPR qui aurait abattu le Falcon présidentiel. Ses dirigeants comptaient sur le chaos provoqué par la disparition du Président pour reprendre la guerre et s'emparer du pouvoir.
Or, le 1er mars dernier, un quotidien canadien, le National Post, faisait état d'une source jusqu'alors inconnue. Il s'agissait d'
un mémorandum non officiel, rédigé en 1997 par un ancien enquêteur du Tribunal pénal international, transmis au procureur de ce tribunal et depuis gardé secret. Selon ce mémorandum, un commando du FPR aurait abattu l'avion sur ordre de l'actuel président du Rwanda, le général Paul Kagamé. L'article fit grand bruit.
L'effet du mémorandum a été renforcé par les déclarations publiques de Jean-Pierre Mugabe, un dissident du FPR, exilé aux Etats-Unis. En avril dernier, cet ex-officier du renseignement, qui fut proche des dirigeants du FPR, accusait Paul Kagamé et annonçait détenir des éléments probants qu'il se réservait de transmettre à la justice. En France, le juge Bruguière a été saisi de l'instruction de l'affaire en mars 1998. Pierre Péan, dans la parution d'octobre du Vrai Papier Journal, annonce que le juge serait prêt à délivrer «d'ici à six mois un mandat d'arrêt international contre Paul Kagamé en personne».
Faut-il, pour autant, «réécrire toute l'histoire du génocide»? Que ces «révélations» soient probantes ou non, que le juge Bruguière, ou tout autre enquêteur, arrive dans un avenir plus ou moins proche à établir la culpabilité de Paul Kagamé, cela ne changera rien au fait que le massacre systématique des Rwandais tutsis avait été conçu et préparé depuis des mois par des politiciens, des militaires et des autorités territoriales déterminés à la politique du pire. Or les derniers rebondissements médiatiques ont réactivé des discours qui font de la fureur populaire, provoquée par la mort du Président, le seul ressort du carnage. Il s'agirait donc d'un génocide sans préméditation. Résumons: l'assassinat du président Habyarimana a déclenché le massacre des Tutsis, or le FPR est l'auteur de cet assassinat, donc le FPR est responsable du génocide. Dans cette logique, les avocats, défenseurs de Rwandais poursuivis pour génocide et crimes contre l'humanité, ont demandé au tribunal d'ouvrir une enquête: si le FPR avait commis l'attentat, cela innocenterait leurs clients.
Quoi qu'il en soit de ces plaidoiries, aussi lente soit-elle la justice internationale a démontré des engagements criminels individuels: le massacre systématique des Tutsis n'a pas été un processus impersonnel et inorganisé.
Les discours révisionnistes s'emparent des effets médiatiques, utilisent les rumeurs, exploitent les obstacles qui s'opposent au travail de vérité. Il n'empêche, celui-ci a connu des avancées décisives. Ainsi, l'enquête, menée conjointement par Human Rights Watch (HRW) et la Fédération internationale de droits de l'homme (FIDH), a produit des documents concluants sur la mise au point, avant le 6 avril 1994, d'un dispositif de massacre et a montré dans plusieurs localités la mise en œuvre de ce dispositif. L'enquête a également révélé les crimes massifs commis par le FPR au cours de sa progression militaire au Rwanda entre 1990 et 1994. Aussi difficile que soit l'établissement des faits, il a été et il reste possible de savoir quels hommes, organisés pour faire tuer, en ont donné l'ordre et quels hommes ont tué. A condition de le rechercher.
Abatabizi bicwa no kutabimenya.
Nikozitambirwa.
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