Abdul Ruzibiza accuse Paul Kagame
Le livre du Lieutenant Abdul Joshua Ruzibiza "RWANDA - L'histoire secrète" ( éditions Panama 2005 ) vient de sortir. Il est déjà disponible, à partir d'aujourd'hui 27 octobre 2005, dans la plupart des librairies belges, notamment à la FNAC.
Un témoin accuse M. Paul Kagamé d'avoir planifié l'attentat déclencheur des tueries
LE MONDE | 25.10.05 | 13h53
Le lieutenant Abdul Ruzibiza, ex-officier du Front patriotique rwandais (FPR), la guérilla tutsie qui a pris le pouvoir à Kigali en 1994, affirme, dans un livre à paraître le 27 octobre, avoir été le témoin direct de l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président rwandais hutu Juvénal Habyarimana. L'officier attribue la responsabilité de cet attentat, déclencheur du génocide au cours duquel environ 800 000 Tutsis ont été exterminés, au FPR.
Selon le lieutenant Ruzibiza, les rebelles tutsis conduits par le général Paul Kagamé, aujourd'hui président du Rwanda, attendaient depuis 1993 le moment opportun pour éliminer le président Habyarimana. Dans Rwanda, l'histoire secrète (Editions du Panama), il raconte que, le 31 mars 1994, lors d'une réunion dirigée par le général Kagamé, "la décision a été prise qu'à toute heure, dès que l'opportunité s'en présenterait, l'avion du président Habyarimana serait abattu". Les deux missiles ont été acheminés, selon lui, le 6 janvier 1994 de l'Ouganda à Mulindi, le quartier général du FPR, puis sur le site de tir de la colline de Masaka, proche de l'aéroport. Le 6 avril 1994, "aux alentours de 20 h 25", l'avion présidentiel a été abattu.
Le lieutenant Abdul Ruzibiza est un témoin de l'intérieur, et son livre est une plongée au sein du FPR, devenu l'Armée patriotique rwandaise (APR). Il n'est par ailleurs pas un inconnu, ayant déjà accepté de collaborer avec des enquêtes en cours.
Engagé dans trois procédures judiciaires contre ses anciens camarades de combat pour des crimes commis au Rwanda entre 1990 et 2001, l'officier a décidé de révéler le fonctionnement de l'armée rebelle. Depuis son exil de Norvège, il dénonce les pouvoirs successifs au Rwanda et la "complicité" de la France avec le régime hutu extrémiste de 1994, celui qui a perpétré le génocide des Tutsis. Ancien agent du "Network Commando", le service des opérations spéciales du FPR, il pointe particulièrement les crimes commis dans son propre camp. Il cite de nombreux témoins et désigne près de 400 responsables.
DÉPOSITION EXPLOSIVE
Réfugié en Ouganda, Abdul Ruzibiza s'était rendu en 2003 à Paris pour une audition, à la demande du juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière, chargé de l'instruction sur l'attentat qui a coûté la vie aux pilotes français du Falcon 50 offert par Paris au président Habyarimana. Le Monde avait révélé, en mars 2003, le caractère explosif de la déposition du lieutenant Ruzibiza devant le juge Bruguière. En dépit du faisceau de preuves accablant le FPR et le général Kagamé, Jean-Louis Bruguière n'a toutefois toujours pas transmis ses conclusions au parquet. Le lieutenant Ruzibiza s'interroge aujourd'hui sur le "caractère politique" d'une affaire qui assombrit des relations déjà tendues entre Paris et Kigali.
Abdul Ruzibiza, qui a perdu tous les membres de sa famille dans le génocide, considère que, si le général Kagamé "n'avait pas été préoccupé uniquement par la conquête rapide et à tout prix du pouvoir, il aurait sauvé beaucoup de Tutsis tout en gardant sa capacité de gagner la guerre". Il évoque aussi les massacres "de civils -hutus- innocents" commis par le FPR pendant le génocide des Tutsis, avant la prise de Kigali, et affirme que ces tueries ont été "planifiées" et menées "sous les ordres" du général Kagamé.
Avant de collaborer avec le juge Bruguière, le lieutenant avait été interrogé, en 2002, à Kampala, par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ces enquêtes ont entraîné une épreuve de force entre Kigali et la juridiction de l'ONU basée à Arusha (Tanzanie). L'officier rwandais est aussi témoin dans une affaire ouverte en Espagne après le dépôt d'une plainte, le 22 février 2005, par le Forum international pour la vérité et la justice dans l'Afrique des Grands Lacs.
Stéphanie Maupas
Article paru dans l'édition du 26.10.05
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