Charles Ndereyehe sur la jeunesse rwandaise
CONFERENCE SUR LA NOUVELLE IMMIGRATION DE LA JEUNESSE AFRICAINE
Organisée par Ballon d’Oxygène asbl et Ubuntu asbl : Anderlecht 7 mai 2005
LE ROLE DE LA JEUNESSE DANS LA RESOLUTION DES CONFLITS :
Etude de cas de la Jeunesse Rwandaise
Intervention présentée par Ndereyehe Charles
Conseiller Politique au RDR et Secrétaire Exécutif adjoint de l’UFDR[1]
1. Introduction
La complexité de ce sujet le rend très intéressant pour les débats qu’il va susciter. J’ai déjà abordé ce thème sous un autre angle en juillet 2000 en lançant un appel à la jeunesse pour prendre en main son destin (cfr. www.rdrwanda.org/francais/President ) lorsque j’affirmais notamment que : “Souvent les jeunes sont victimes des conséquences des décisions politiques dont ils ne sont pas responsables…Je demande aux jeunes de ne pas continuer à rester spectateurs des décisions qui mettent en jeu leur avenir, car toute politique a toujours des conséquences sur plusieurs générations …’’.
Pour ne pas se noyer dans les généralités et pour mieux délimiter le sujet, il faut donc d’abord bien se fixer de ce que l’on entend par « jeune » et à quel « conflit » on se réfère. On pourrait s’attarder à la définition de celui qui est jeune et celui qui ne l’est pas. Notre approche sera dynamique et non statique car nous ne pouvons pas faire l’arrêt d’image d’une situation sans prendre en compte l’amont et l’aval de la tranche d’âge que nous allons nous fixer. Donc, sans être figés, nos considérations vont pour le moment s’adresser surtout à la jeunesse rwandaise depuis le jeune âge (début du cycle secondaire) jusqu’à la sortie des études universitaires. La tranche d’âge de notre groupe cible va donc se situer à peu près entre 12 ans et 25 ans. En se référant à l’année 1980, on peut donc dire que les aînés de cette jeunesse avaient à peine 10 ans quand le FPR[2]-Inkotanyi a attaqué le Rwanda en 1990 et avaient juste 14 ans quand le ciel est tombé sur le Rwanda en 1994. Ces gens n’ont vécu ni les agitations politiques de la première et de la deuxième République, ni encore moins connu les humiliations et les frustrations antérieures à la révolution sociale de 1959.
2. Sources de conflits
Même s’elles sont des fois renouvelables, les ressources sur Terre sont loin d’assouvir les besoins toujours croissants de l’humanité. Elles restent donc économiquement des biens insuffisants et très convoités. La compétition pour acquérir ou exploiter ces biens constitue une source permanente de tension qui conduit aux conflits de diverses natures.
Bien que n’étant pas de même coloration, tous les conflits politiques ont la même origine, à savoir : la manière d’accéder à ces ressources naturelles limitées et aux ressources financières qui en découlent. Ces conflits peuvent être non violents ou se traduire par des guerres d’ampleurs variables, entre personnes ou groupes de personnes, entre pays ou groupes de pays. Ce n’est pas une hérésie d’affirmer que tous les conflits sont d’essence économique. C’est pourquoi la géopolitique et/ou la géostratégie doivent être considérées comme outils des intérêts économiques. Les enjeux majeurs se jouent au tour du pétrole et du gaz, le bois et des minéraux qui servent de matières premières pour les industries.
Dans les pays en voie de développement, les conflits politiques souvent sanguinaires cachent à peine cette compétition sur les ressources nationales limitées (ressources naturelles comme la terre et les pâturages et/ou les ressources financières). Souvent on trouve des gouvernements fantoches qui s’imposent ou sont imposés aux peuples et qui, au lieu de servir les intérêts de leurs peuples, se transforment en outils de leur exploitation ou de leur asservissement par/pour des puissances étrangères. Les conflits généralisés dans les pays en voie de développement sont provoqués par des groupes de personnes qui séquestrent et usurpent le pouvoir politique pour maîtriser les mécanismes/ la clef de distribution de ces ressources. Ceci se traduit souvent par le monopole des outils du pouvoir comme le savoir (l’enseignement/éducation et formation professionnelle), l’administration et/ou la fonction publique, l’armée, les finances et l’économie….
Donc, pour que l’on puisse discuter d’un quelconque rôle de la jeunesse rwandaise dans la résolution des conflits, il convient de savoir si cette jeunesse est informée correctement sur la genèse de ces conflits et leurs conséquences. Mais aussi faut-il se questionner sur la source d’information de ces jeunes ! Quelle est la perception que la jeunesse rwandaise a sur le conflit rwandais ?
3. La jeunesse rwandaise dans la résolution de la crise rwandaise
3.1 Du groupe cible
La jeunesse rwandaise peut se subdiviser en 3 composantes principales. Des jeunes qui sont à l’intérieur du pays, prisonniers de la dictature en place, qui n’ont aucun droit d’expression si ce n’est que répéter la chanson du FPR, transmis par les irréductibles du FPR à travers les « INGANDO » qui ne sont rien d’autre que des séminaires d’endoctrinement forcé ; ceux qui sont éparpillés dans différents pays africains, opprimés par la misère et harcelés par des agents du FPR ; ceux qui ont réussi à rejoindre les pays développés et qui se trouvent dans un environnement plus propice au développement intellectuel, critique et politique.
Ceux qui sont à l’intérieur n‘attendent que le messie pour les délivrer du mal, ceux qui sont en Afrique et luttent chaque jour pour la survie, ceux qui sont dans les pays développés et qui pour la plupart ont accès aux droits fondamentaux de la personne humaine dont entre autre le droit d’expression et à l’éducation. C’est surtout à ce dernier groupe que nous allons nous adresser aujourd’hui, car ils sont porteurs d’espoir pour « le Rwanda de demain » et peuvent aider leurs compatriotes de même génération pour recouvrir leurs droits et pour les faire sortir de la misère et les libérer de l’oppression qui les étouffent.
3.2. Des préalables pour jouer un rôle quelconque
Pour avoir une part active dans la résolution des conflits cycliques rwandais, les jeunes rwandais doivent d’abord se sentir concernés et intéressés. S’intéresser au Rwanda et aux Rwandais, c’est s’intéresser à son histoire, à sa culture, à sa langue. Je me demande à quel point quelqu’un peut se déclarer rwandais s’il ne parle pas le KINYARWANDA !
Le spectacle est très choquant lorsqu’on observe des jeunes « rwandais » vivant en Allemagne, en France, en Hollande….se comporter comme des muets par incapacité de communiquer lorsqu’ils se rencontrent. Le Kinyarwanda doit rester donc un outil fondamental de mobilisation et de communication pour faciliter les échanges entre les rwandais dispersés à gauche à droite et parlant une multitude de langues du monde entier . J’ose espérer que dans un proche avenir , les initiateurs de telles rencontres pourront également organiser des conférences-débats en Kinyarwanda ! Sans le Kinyarwanda, la résolution du conflit rwandais par notre jeunesse risque d’être comme construire la « TOUR de Babel ».
Pour contribuer à la résolution du conflit rwandais, il faut en connaître les vraies causes, et pour maîtriser les contours de cette crise, il faut bien connaître l’histoire du Rwanda. Ce qui nous amène à affirmer que pour aider les jeunes à jouer pleinement leur rôle, il faut les aider à connaître l’histoire de notre pays, il faut les aider à se former et à s’informer, il faut les aider à aimer la lecture et la documentation pour éviter qu’ils se comportent comme des analphabètes.
3.3. Caractéristiques principales du conflit rwandais.
Beaucoup de jeunes ont été instrumentalisés surtout dans le dernier conflit rwandais qui ravage encore le pays. La confrontation s’est faite autour de certaines idéologies racistes véhiculées par des criminels professionnels déguisés en politiciens en vue de leur permettre de prendre ou de conserver le pouvoir et de le gérer sans partage. La crise rwandaise a été souvent présentée comme une confrontation ethnique entre surtout les Hutu et le Tutsi. La discrimination ethnique qui frappe à première vue n’est pourtant qu’un des effets de la mauvaise gestion du pouvoir au Rwanda. C’est en effet la mauvaise gouvernance qui constitue le problème central de la crise rwandaise.
Je n’ai pas la prétention de discuter de l’histoire du Rwanda, ni d’analyser toutes les facettes de la crise rwandaise dans les quelques minutes qui m’ont été accordées. Ma démarche ne vise qu’à donner ma contribution sur le débat en cours sur les vraies causes de la crise rwandaise en vue d’aider les jeunes à y voir plus clair avant de s’aventurer sur un chemin parsemé d’obstacles. Une analyse plus détaillée a fait objet de la plateforme du RDR qu’on peut retrouver sur le site http://wwww.rdrwanda.org.
Il y a 60 ans que l’Abbé Alexis Kagame a écrit « INGANJI KALINGA » en 1943-1947, et a immortalisé l’histoire du Rwanda jadis uniquement orale. Cette publication a servi comme source d’inspiration pour élaborer la plupart des manuels d’enseignement de l’histoire du Rwanda. Beaucoup d’instruits rwandais n’ont donc appris et transmis qu’une seule interprétation de la version de notre histoire véhiculée suivant la pensée et l’idéologie des clans SINDI-NYIGINYA et BEGA qui ont dominé la scène politique du Rwanda jusqu’en 1959. Sans nier le rôle important qu’ont joué ces clans dans la construction du Rwanda actuel, il faut néanmoins dire que l’histoire du Rwanda et sa structure socio-politique étaient rapportées avec des approches mythiques, mixant fantaisie et surréalisme pour justifier des injustices sociales dont étaient victimes la majorité des rwandais jusqu’en 1959.
La publication d’Alexis Kagame est devenue la référence des recherches et publications ultérieures sur l’histoire du Rwanda, jusque tout récemment où certaines thèses ont été mises en cause notamment par des chercheurs rwandais[3]. C’est dire donc que non seulement les jeunes, mais aussi les adultes susceptibles de transmettre les connaissances pour aider les jeunes à se former et acquérir les aptitudes pour contribuer à résoudre le conflit rwandais, sont partis sur de mauvaises bases. Pour essayer d’éclairer la jeunesse et pour lui offrir des solutions alternatives pour endiguer le conflit rwandais, il convient de les aider à vivre la problématique rwandaise actuelle différemment et aborder la crise rwandaise avec plus de sérénité. Pour ce faire, il faut d’abord démystifier le problème Hutu-Tutsi et le ramener à sa juste dimension politique. La jeunesse rwandaise doit se refuser de se fourvoyer dans des débats racistes qui n’arrangent que ceux qui veulent leur priver de leurs droits.
3.4. le problème Hutu-Tutsi et la politique de l’autruche
Les Rwandais doivent aborder le problème Hutu–Tutsi sans passion. Hier c’était tabou discuter du problème Kiga-Nduga, mais grâce à l’émergence des jeunes politiciens qui l’ont replacé dans le contexte d’un déviationnisme de la révolution de 1959, notamment par la violation des droits de la personne humaine, être Mukiga, Mushiru, Munyenduga, Muganza, Mufundu…n’est plus un obstacle à la communauté de pensée en vue de lutter ensemble pour « un peuple réconcilié dans un Etat de droit ». L’origine régionale et les expériences vécues par tout un chacun sont devenus une source de diversification et d’enrichissement du débat. Il n’y a donc pas de raison majeure de ne pas aboutir aux mêmes résultats pour le problème Hutu-Tutsi.
Analyser froidement le problème Hutu-Tutsi ne signifie pas renier l’existence de ces « ethnies ». Au contraire sans Hutu, Tutsi et Twa, le Rwanda ne serait pas le Rwanda. Les Rwandais de toutes les « ethnies » doivent analyser leur histoire, reconnaître les erreurs du passé et les assumer, sans quoi il sera difficile de construire un Rwanda meilleur dans lequel toutes les « ethnies » vivent en harmonie. Les jeunes intellectuels Hutu et Tutsi doivent se distinguer de la masse d’instruits rwandais, se dépasser et prendre le taureau par les cornes pour discuter de ce problème sans complaisance. Quoiqu’il en soit, vous chassez le problème Hutu-Tutsi par la porte, il rentre par la fenêtre. Refuser de débattre le problème Hutu-Tutsi comme dans le passé lointain et récent, c’est se piéger.
En effet, poussé par les velléités des Grands Seigneurs de la Cour en 1958, le roi Rudahigwa a évité de débattre le Problème Hutu-Tutsi prétendant que le Rwanda était « imbaga-Nyabutatu » qui vivait en harmonie. Il a refusé de prêter une oreille attentive aux doléances des masses populaires asservies. Opprimés par les injustices sociales et l’exclusion dans la gestion du pouvoir[4], les Hutu ont fini par se révolter en 1959[5]. Cette révolution sociale a renversé la monarchie féodale pour instaurer la République fondée sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Des aristocrates tutsi, certains craignant pour leurs vies et d’autres opposés au nouvel ordre social, ont fui le Rwanda et se sont installés principalement au Burundi, au Congo-RDC, en Ouganda et en Tanzanie.
Sous la première République, le problème a été latent, mais il a continué d’envenimer le climat politique. Des attaques continues de réfugiés tutsi n’a pas permis de débattre cette question dans la sérénité, pour que chaque Rwandais, chaque Rwandaise, jouisse de ses droits, indépendamment de ses origines sociales ou régionales. Les tutsi restés à l’intérieur ont été souvent victimes de la globalisation et certains d’entre eux ont été massacrés injustement ou exclus de la gouvernance du pays. Les vieux démons ethniques à peine voilés par le régionalisme ont continué à peser lourd dans les décisions politiques jusqu’au coup d’Etat militaire qui a installé les militaires au pouvoir avec l’avènement de la deuxième République en 1973.
La deuxième République a voulu résoudre ce problème sans le débattre et a imposé « l’équilibre ethnique » et, dans la foulée, « l’équilibre régional » sans vraiment les respecter. La discrimination raciale est restée sur les lèvres et dans les actes. Les féodo-monarchistes n’ont pas manqué de profiter de la confusion idéologique des militaires au pouvoir pour remonter la pente et tisser les filets pour renverser les républicains qui les avaient chassés du pouvoir[6]. C’est ce courant qui a abouti à la guerre d’octobre 1990. Durant les négociations d’Arusha, le débat Hutu-Tutsi a été évité à cause des calculs machiavéliques de certains et la naïveté des autres. Après que le Front Patriotique Rwandais a pris le pouvoir, le problème Hutu-Tutsi est revenu au galop.
Actuellement, malgré qu’il n’y ait aucune mention ethnique dans les cartes d’identité, les Hutus ne sont perçus que comme des génocidaires ou, selon le Président Kagame, des potentiels génocidaires car nés de parents génocidaires[7]. Les Hutu peuvent participer au pouvoir seulement s’ils acceptent d’être des « Hutu de service ». Une compétition n’est juste que si elle est gagnée par un Tutsi, une discrimination n’en est une que quand elle est exercée contre un Tutsi. Un conseil d’administration d’une entreprise ou d’une ONG n’est légitime que quand elle a des Tutsi comme membres. Un Hutu n’a pas droit d’opinion que s’il pense sur la même longueur d’ondes que la politique du FPR, autrement cette opinion est divisionniste, voire même révisionniste ou négationniste[8]. On ne peut pleurer ses morts que quand on est Tutsi, on a droit de témoigner dans GACACA contre des criminels que quand c’est fait contre les « criminels » hutu. Il n’y a pas de Hutu présumé innocent, il est présumé coupable et ne peut quitter la prison que s’il plaide coupable, même quand il ne se reproche de rien. Tel est le triste panorama du Rwanda actuel qui refuse tout débat sur le problème Hutu-Tutsi, car le FPR veut qu’il n’y ait pas d’ethnies au Rwanda, qu’il n’y ait ni Hutu, ni Tutsi et ni Twa au Rwanda, qu’il n’y ait que de Rwandais !
Parmi les jeunes, comme parmi les adultes, il y a de gens qui se tirent des flèches envenimées notamment lorsqu’il s’agit de débattre sur le problème de génocide des Hutu et du « génocide » hutu, non encore reconnu. Les inconditionnels du FPR défendent aujourd’hui mordicus le régime dictatorial comme le faisaient hier les inconditionnels du régime du MDR (Mouvement Démocratique Républicain) devenu parti unique au déclin de la première République, et ceux du MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement et la Démocratie) par la suite, et se refusent à tout débat démocratique qui puisse aider le Rwanda à sortir pacifiquement de l’impasse. Beaucoup de Rwandais restent prisonniers de leur passé politique et ne veulent pas s’exercer à l’autocritique pour reconnaître les erreurs du passé dont le cumul a conduit au drame que les Rwandais vivent actuellement. Dans ce bourbier, je comprends que les jeunes manquent de repères et risquent d’être victimes des clichés transmis par des générations antérieures.
Mais qui sont ces Hutu et ces Tutsi qui se massacrent périodiquement au Rwanda ?
Telle est la question à laquelle nous allons donner des pistes de compréhension pour susciter les débats.
3.5. Dépassionner le débat Hutu-Tutsi
Pour aider les jeunes à dépasser cet écueil, nous allons tenter de donner quelques éclaircissements à certaines questions auxquelles les progressistes se sont heurtés durant les multiples débats.
Qui est réellement Tutsi et qui est réellement Hutu ?
Existe-t-il des éléments caractéristiques fiables pour reconnaître un Hutu d'un Tutsi ?
Existe-t-il de relation entre l'appartenance " ethnique" et le système éducatif des enfants ?
Y a-t-il, par conséquent, corrélation directe entre l'appartenance " ethnique" et le comportement social ?
Quelle clarification peut-on apporter à l'UBWOKO "Hutu-Tutsi-Tsi" traduit en français par « ethnies » et UBWOKO " aba-ZIGABA, aba-GESERA, aba-SINGA, aba –SINDI, aba-NYIGINYA, aba-EGA…." traduits par « clans » ? Qu'est ce qui est la composante de l'autre ?
Existent-ils des éléments historiquement vérifiables pouvant prouver qu'est-ce qui a précédé l'autre ?
Quel est l'origine de l'excentrisme Hutu-Tutsi ?
Quand est-ce que l'ethnisme au Rwanda prend l'ampleur de racisme ?
La cohabitation pacifique ou la coexistence harmonieuse entre les Hutu et les Tutsi est-il possible au Rwanda ? Si OUI, comment et à quelle condition, si NON pourquoi et comment résoudre cette impasse ?
Est-il possible d'assurer une représentation ethnique dans l'exercice du pouvoir ?
Quelles sont les garanties qu'il faut assurer pour protéger les minorités et pour mettre fin aux massacres interethniques cycliques au Rwanda ?
Ce n’est certes pas possible de trouver des réponses qui satisfassent tout le monde, surtout que pour certains jeunes, ce sera la première fois qu’ils apprennent qu’à coté de l’UBWOKO versus ethnies, il y a encore UBWOKO versus Clans. Mais ce n’est pas ce qui est fondamental car les Rwandais ont besoin d’autres repères pour sortir de l’impasse qui les enferme. Pour tenter d’éclaircir ces amalgames, les résultats des recherches récentes[9] sont venus enrichir les débats que nous avons menés et qui continuent au sein du RDR[10] depuis 1995 et à l’UFDR depuis 1998, que nous voudrions partager avec vous.
La définition et/ou la perception du Hutu, Tutsi et Twa ont évolué suivant les différents courants et les centres d’intérêts. Par exemple il y a eu beaucoup de Rwandais Tutsi qui se sont fait recenser comme des Hutu entre 1959 et 1990, tout comme il y a des personnes déclarées Hutu jusqu’en 1994 qui se font passer actuellement comme des Tutsi après la prise du pouvoir par le FPR.
Arrivé au Rwanda vers le début du 20ième siècle, les colonialistes ont cherché à comprendre et à s’expliquer les mécanismes de stratification de la Société rwandaise qu’ils ont trouvée sous le règne « Sindi-Nyiginya »[11]. C’est l’approche par courants migratoires fortement influencés par les courants racistes de l’hiérarchisation des races en vogue en Europe dans les années 1920 (Ecole Hambourg et de Vienne) qui a dominé les études et publications de cette époque. Les Tutsi ont été considérés comme des pasteurs, des Hamites-Ethiopides, « faux-noirs » venus de la région du Nil, derniers arrivés au Rwanda ; les Hutu, Négroïdes de la race Bantou, venus très vraisemblablement du bassin du Tchad, agriculteurs, seraient les deuxièmes arrivés ; les Twa, Pygmoïdes, mystérieux, chasseurs vivant dans les forêts , auraient été les premiers occupants du Rwanda. Les pasteurs, guerriers, auraient fini par conquérir tous le pouvoir par les armes et asservir progressivement ceux qu’ils ont trouvés sur place. Entre 1950-1960, les colons continueront à s’évertuer à faire des études anthropologiques avec des définitions zoologiques des « ethnies » rwandaises, en se basant sur la taille, la géométrie du front et la largeur du nez…. Par la suite, d’autres critères comme l’hiérarchie dans la structure politique et le nombre de gros bétail (vaches) possédé seront pris en compte pour la stratification et la codification des « ethnies » rwandaises.
La théorie migratoire est contredite par des études récentes déjà évoquées . Dans sa thèse de doctorat, Dr A. Nyagahene conclut ses recherches comme suit : « …Ces faits nous amènent à la conclusion que ces clans rwandais , à leur arrivée au Rwanda, ne connaissaient pas du tout eux-mêmes le système ethnique. En d’autres mots, ils sont arrivés, du moins ceux qui se sont formés à l’extérieur, dans l’espace actuellement appelé Rwanda, en tant que Abasindi, Abaha, Abega, Abasita etc, et non en tant que Abahutu-Abatutsi-Abatwa…
Quelques groupes se sont progressivement individualisés et identifiés , ou leurs voisins les ont identifié comme des Hutu-Tutsi-Twa, selon des mécanismes dynamiques alors en jeu dans ces sociétés…qui étaient sans doute en relation avec les structures économiques , matrimoniales, socio-politiques etc…
La polyvalence clanique se situe même au début de la formation du système ethnique qui lui est postérieure…
Le phénomène ethnique rwandais fit son émergence sur le sol rwandais à des époques apparemment récentes au sein d’une population en provenance d’horizons divers mais ayant déjà subi plusieurs amalgames… » : pp. 235-238
Cette nouvelle perception est complétée par les recherches de Jan Vansina lorsqu’il écrit à propos des «Hutu» et des «Tutsi» : « …Tutsi était au début un ethnonyme grâce auquel une fraction des pasteurs du Rwanda se désignait elle-même. Ensuite, et déjà avant Ndori, cette signification s’était étendue pour désigner l’élite politique parmi cette fraction et c’est ce sens qui devint le plus commun après la fondation du royaume….
Dès avant Mazimpaka, les maîtres traitaient leurs serviteurs, même ceux d’ethnie Tutsi, de Hutu. Le premier groupe appelé Hutu collectivement fut sans doute celui des membres de la corporation Gakondo parce qu’il s’agit d’une corporation servile. Un autre cas ancien où le terme fut appliqué à une collectivité de gens fut la désignation des habitants de toute la province du Budaha comme Hutu parce qu’ils étaient serviteurs chargés de ravitailler la cour…
Dans le cadre du développement interne des armées, donc au plus tard, du temps de Rujugira, les termes tutsi et hutu furent appliqués à de nouvelles catégories de personnes. Dans cet environnement tout guerrier combattant était Tutsi, le terme étant opposé à umutware : ‘chef’ et à Hutu : ‘non-combattant’. Puisque les élites politiques étaient tutsi et que la première compagnie combattante d’une armée était recrutée parmi les pages, cette équivalence guerrier / tutsi se comprend aisément. Le terme ‘Hutu’, lui, s’appliquait aux non-combattants d’une armée, parce qu’ils étaient en service. C’est dans ce contexte qu’apparut la première distinction institutionnalisée opposant directement Hutu et Tutsi. Comme la grande majorité des non-combattants étaient des lignages d’agriculteurs, les élites en vinrent à appeler tous les agriculteurs hutu et à opposer le terme à celui de tutsi appliqué à tous les éleveurs…
L’apparition de l’institution de l’uburetwa aggrava et envenima encore ce clivage. Car seuls les Hutu devaient l’uburetwa foncier et la nature servile des travaux exigés par le chef de terre, en contraste avec les obligations moins humiliantes des clients tutsi, aurait déclenché une prise de conscience à travers toute la société qui donna naissance aux deux catégories sociales hiérarchisées. Désormais, les termes Hutu Tutsi désigneront avant tout non plus une situation de classe ou de dépendance ou une occupation, mais un statut absolu…
Ce clivage absolu entre Hutu et Tutsi institutionnalisé par la pratique quotidienne de l’uburetwa obnubila rapidement l’ancienne conscience de classes sociales malgré le fait qu’il était issu lui-même d’un phénomène politique et non d’une conception de classe… »[12]
Se basant sur la situation de la stratification de la société rwandaises, soucieux et choisissant de s’appuyer sur « l’indirect rule » pour mieux exploiter les masses paysannes rwandaises, les colonialistes vont renforcer la mainmise de la dynastie régnante sur tout le territoire rwandais[13] et vont lui accorder le monopole du savoir en privilégiant l’accès à l’enseignement presque exclusivement aux enfants des Tutsi.[14]
Fatigués par les injustices et les discriminations dont ils étaient victimes, entraînés par les grands bouleversements qui ont suivi la fin de la deuxième guerre mondiale, inspirés par la Déclaration universelle des droits de l’homme faite par les Nations Unies en 1949 et encouragés par les grands mouvements de libération des peuples opprimés qui en ont suivi, les leaders hutu ont publié le manifeste des Bahutu le 24 mars 1957. En répondant à leurs revendications, les grands féodaux tutsi de la cour royale ont fait une mise au point en définissant les Tutsi comme fils de Kigwa (Ibimanuka) et les Hutu comme fils de Kanyarwanda, précisant que « …ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité…les relations entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) ont été tous les temps jusqu’à présent basés sur le servage… ». Pour plus d’amples informations, ils les ont envoyés se référer au contenu de « Inganji Kalinga » d’Alexis Kagame.[15] En effet, c’est dans ce contexte que le Rwanda était considéré comme propriété des Seigneurs Tutsi ayant des Hutu comme serfs, exploitables à merci jusqu’à la révolution sociale de 1959.
Le Rwanda n’a pas pu résister à la pression de l’ONU sur le pouvoir de tutelle belge l’intimant à veiller à ce que le droit s’installe progressivement au pays. Devant la théorie de Mutara Rudahigwa selon laquelle tous les Rwandais étaient égaux devant le Roi et la Loi, Aloys Munyangaju réplique par ce qu’il appelle « la contradiction entre les faits et le droit ». Chiffres à l’appui, il énumère les différentes discriminations (discriminations politico-économiques, judiciaire et culturelle ; discriminations relatives aux charges publiques, à la possession et à l’exploitation des terres agricoles …)[16] dont les Hutus représentant plus de 85 % de la population rwandaise sont victimes. C’est la même contradiction qu’on retrouve aujourd’hui entre les déclarations égalitaristes du régime du FPR et les faits illustrés par Enéas Gakusi à la page 28 de son analyse déjà citée.
Lorsque surgit la guerre d’octobre 1990, les sentiments sont mélangés. Les repères tutsi et hutu sont mitigés par des phénomènes de mariages croisés, l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie (classe dominante) constituée principalement par des hauts fonctionnaires et des commerçants. Entretemps l’argent a remplacé la vache, la discrimination régionale commencée dans la première République s’est accentuée et a offusqué la marginalisation des tutsi ; l’assassinat des leaders de Gitarama dont Son Excellence le Président Kayibanda Grégoire, héros de la révolution sociale de 1959 et un des grands fondateurs de la République rwandaise, a envenimé le climat politique ; des nouvelles alliances se sont tissées. Les hutus progressistes ont compris que la discrimination rwandaise n’est pas un phénomène exclusivement ethnique, car il y a des Hutus qui ont été marginalisés tant sous la première que dans la deuxième République. Certains se sentaient alors prêts à s’associer même avec le diable pour se décharger du régime militaire devenu très asphyxiant.
Cette guerre a ravivé les sursauts ethniques, les Hutus s’interrogent sur les vraies intentions du FPR-Inkotanyi et les plus âgés revivent les cauchemars de la servitude féodo-monarchique, alors que les plus jeunes commencent à s’interroger à quelle ethnie ils appartiennent en découvrant soudainement qu’ils ne sont pas de la même « ethnie » que certains de leurs collègues d’école. Certains crieront au scandale de ces naïfs hutu qui ne l’ont jamais fait savoir à leurs enfants!. Les enfants des familles croisées, dont certains se définissent actuellement comme de HuTsi, sont complètement désorientés.
Du côté des Tutsi, c’est la jubilation des nostalgiques revanchards féodo-monarchiques, mais c’est l’incertitude mélangée d’angoisse pour ceux qui avaient appris à vivre normalement avec leurs voisins hutu. La tension ethnique attisée par les propagandistes des deux bords monte, la conscience ethnique et les solidarités aveugles se restaurent jusqu’à la catastrophe. Cette guerre, avec des soubassements pratiquement ethniques, provoquera une perte de plus de 3 millions de rwandais (40 % de la population), toutes « ethnies » confondues.
Après la victoire de la rébellion soutenue par l’opposition intérieure, l’exode des Hutus et leur errance sont venus attiser l’ethnisme ; ceux qui se sont alliés au FPR n’ont pas tardé à se rendre compte qu’ils ont été embobinés par des féodo-monarchistes habillés en Républicains, tel un loup en peau de mouton pour mieux se faufiler dans la bergerie. En effet depuis 1995, les premiers collaborateurs hutu du FPR fuient la nouvelle dictature militaire et ethno-centriste, et le mouvement ne s’est pas estompé. L’élan progressiste qui avait uni et créé de nouvelles formes de solidarité entre les Rwandais de différentes « ethnies », de différentes convictions politiques et de différentes couches sociales, semble s’évanouir et le débat se cristallise de nouveau autour des ethnies au lieu de s’en prendre au système de gouvernance du FPR. Nous voilà retourné à la case de départ, antérieure à 1959.
Cette érosion des alliés du FPR ne s’est pas arrêtée aux seuls Hutu, des rescapés tutsi ont été victimes des services spéciaux du régime, des honnêtes tutsi qui s’étaient battus pour les idéaux d’égalité de droits se sont vus dépassés par la criminalité du régime et ont préféré reprendre le chemin de l’exil. Les exilés rwandais sont actuellement de toutes les « ethnies » et commencent à comprendre que l’antagonisme Hutu –Tutsi n’est qu’un alibi des extrémistes qui instrumentalisent les « ethnies » et la solidarité négative, pour usurper le pouvoir et pour monopoliser les ressources nationales.
3.6. Exorciser les ethnies, éviter la globalisation
Chaque société dynamique a une stratification sociale basée sur la différenciation de l’évolution des activités économiques. Il n’y a donc rien d’étonnant que les rwandais se soient subdivisés en éleveurs, agriculteurs, forgerons et autres caractéristiques des sociétés primitives à économie dominée par le Secteur primaire. Au fur et à mesure que les Secteurs secondaire et tertiaire s’installent, il se développe d’autres catégories sociales comme les industriels, les commerçants et les fonctionnaires publics telle qu’était devenue la société rwandaise en 1994, nettement différente de ce qu’elle était avant 1959.
La problématique de la lutte de classe et entre les différents groupes sociaux composant la société concerne normalement la gestion des facteurs de production et la répartition du revenu qui en découle. Continuer à axer la lutte politique et économique rwandaise sur les Hutu, les Tutsi et les Twa qui ne sont en fin de compte que des groupes sociaux, c’est rester primitif. Alors que la lutte de 1959 concernait les Hutus considérés comme des serfs, et de ce fait exclus de la gouvernance du pays, et qui par conséquent devaient s’affranchir de la servitude que leur imposaient ceux qui se désignaient comme des Tutsi, la marginalisation et l’exclusion actuelles du pouvoir concernent toutes les « ethnies » même si ceci est différemment ressenti du fait que le pouvoir est dominé par des extrémistes Tutsi. Le combat a donc changé de nature !
Disons avec Nyagahene à la page 200 de sa thèse de doctorat, que « …Il n’est pas question , bien sûr, de nier ici le fait que chaque rwandais (parmi les plus âgés : ndr) possède une conscience claire de son appartenance identitaire à travers ces divers groupes sociaux, ni les antagonistes et les solidarités qui accompagnent cette conscience. L’environnement et l’entourage sociaux savent classer chacun dans son domaine propre et légitime….. » Néanmoins, lorsqu’on parcourt l’évolution du phénomène ethniste dans l’histoire du Rwanda, on constate que ce n’est pas l’ethnie qui est un problème. Elle le devient lorsqu’elle est idéologisée pour prendre une ampleur raciste en l’érigeant en système de gouvernance qui prive les citoyens de leurs droits. Evitons donc les clichés et la globalisation.
En effet, par exemple, même avant 1959 les dynasties régnantes Nyiginya et Bega qui dominaient à 80%[17] le pouvoir rwandais ne représentaient pas tous les Tutsi. Les Bayiginya qui représentaient moins de 6% de la population étaient composés de 58,5 % de Hutu, tandis que les Bega qui avoisinent 8% comprenaient plus ou moins 75% de Hutu[18]. D’autre part, dans le gouvernement du FPR en 2001, 43% étaient des Hutu et ce pourcentage atteignaient 50% au Parlement et 42 % chez les préfets de préfectures (District)[19]. Les hutus exilés peuvent-ils revendiquer être plus hutu que ceux qui sont au pouvoir avec et dans le FPR ? Peut-on donner raison à ceux qui disent qu’il faut se battre contre le pouvoir Tutsi actuel pour restaurer le pouvoir Hutu ? Jusqu’à quand ira ce cycle de violence ?
Comme je le disais dans une Conférence sur "la problématique de la réconciliation au Rwanda" tenue à Utrecht le 2 octobre 1999 « …Le problème que KAGAME connaît actuellement ne découle donc pas du fait qu'il est tutsi, mais trouve sa raison d'être plutôt dans le fait qu'au lieu d'instaurer un Etat de droit , démocratique et juste comme le FPR l'avait négocié à Arusha, il a instauré une dictature sanguinaire dominée par des extrémistes tutsi. Si le régime actuel était ouvert à la démocratie et respectait les droits de l'homme dans leur intégralité, si l'armée était l'armée du peuple et non pas une armée ethnique à la solde des extrémistes du FPR, il n'y aurait plus de raison de guerres intestines. Les forces démocratiques auraient leur place, le peuple recouvrirait ses droits et la lutte pour le pouvoir se ferait sans coûter les vies aux populations innocentes”[20].
D’autre part, dans mon analyse sur le problème central de la crise rwandaise publiée le 11 février 2000 je précisais : « Le RDR se refuse de se confondre avec ceux qui veulent porter leur lutte sur le terrain ethnique. Le RDR est contre un système socialement, économiquement et politiquement injuste; il n'est ni contre une personne, ni contre une ethnie ou une région car un système n'a ni ethnie ni région…. Qu'une dictature soit hutu ou tutsi, les effets sont relativement les mêmes pour celui qui la subit… Le degré de dictature ou de criminalité est indépendante de l'ethnie….
Le RDR considère que les membres du FPR, Hutu et Tutsi confondus, ont choisi librement d'adhérer à l'idéologie qui répondait le mieux à leurs intérêts du moment. C'est leur droit le plus absolu et nous les considérons tout simplement comme nos adversaires politiques qui doivent avoir leur place dans la vie politique nationale. Ils ne peuvent donc pas se considérer ni être considérés comme des représentants ethniques des autres rwandais qui n'épousent pas l'idéologie du FPR, surtout que le régime actuel n'a reçu aucune légitimité du peuple rwandais auquel il s'est imposé par la force des armes…” [21].
Il faut donc éviter de tomber dans la globalisation. Il faut viser le système et s’en prendre à la limite aux individus qui l’incarnent , et non à l’ethnie dont ils sont issus.
On ne choisit pas de naître dans telle ou telle ethnie, et ceci ne devrait pas de toute façon faire objet d’un quelconque complexe. Si les Européens devaient revivre les temps des Huns, des Wisigoths, à la recomposition de la Gaule, à l’empire romain, à scruter l’origine des Sévillans de l’Andalousie espagnole …et justifiaient leurs choix politiques et économiques en fonction des origines de tout un chacun, ça serait l’implosion totale de l’Europe. Si les enfants des esclaves devaient mourir esclaves, les USA ne seraient pas ce qu’ils sont. Qu’on ne vienne pas donc nous répéter qu’il est impossible de gérer trois « ethnies » au Rwanda sous prétexte que les Tutsi étaient des Seigneurs et les Hutu des Serfs rwandais! Les solutions souvent évoquées de « Hutuland » et de « Tutsiland » préconisés par certains analystes, qui ne se rappellent même pas qu’il y a les Twa, ne sont que des aberrations pour imploser le Rwanda.
Enfin , il faut souligner que ni la physionomie, qui actuellement fortement influencée par le régime alimentaire, ni le style de vie et le savoir-être qui se traduisent dans des comportements et attitudes fortement dépendant de l’environnement social et du système éducatif, ne peuvent nous aider à distinguer qui est tutsi ou hutu, et qui ne l’est pas. Un cousin resté sur les collines rwandaises ou vivant dans la forêt équatoriale, luttant journellement contre les conditions de survie, ne peut avoir ni la stature, ni l’allure d’un fils de Colonel, d’un fils de ministre ou de son cousin élevé à l’européenne avec des suppléments de vitamines ! Cessons donc nos clichés hérités des théories racistes et arrêtons de nous référer aux critères zoologiques et/ou à certaines déviations comportementales pour classer les gens dans une ou telle « ethnie ».
La plupart des jeunes concernés par notre débat n’ont su qu’ils sont hutu ou tutsi que parce que leurs parents leur ont raconté ça. Il n’y a pas de critères objectivement vérifiables qui puissent permettre de désigner sans se tromper qui est hutu et qui est tutsi dans une masse des jeunes des milieux rwandais aisés.
Nous devons trouver d’autres repères pour préparer nos jeunes à assurer leur avenir, car ils sont le Rwanda de demain. Commençons par les éduquer dès le jeune âge que tout rwandais est d’abord une personne humaine avant d’être Hutu, Tutsi ou Twa. Eduquons les jeunes à connaître et à intérioriser les droits de la personne humaine. Apprenons leur que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits; qu’ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ; et que tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne[22]. Inculquons-leur que toute personne est créée à l’image de Dieu et que la vie est sacrée car que c’est d’elle que découlent tous les autres droits. Habituons les jeunes aux débats contradictoires et démocratiques, intéressons les jeunes à la politique, car c’est la politique qui gère les conflits qui ne peuvent pas manquer dans toute société humaine.
Tout en reconnaissant que les colonialistes ont aggravé la situation en prenant leurs explications (perceptions) comme des justifications (réalités) et en introduisant la théorisation zoologique et la rationalisation des classes économiques comme critères distinctifs des Ubwoko versus « ethnies », nous devons nous efforcer à aider les jeunes à savoir assumer. L’ethnisation de notre pays n’est pas l’œuvre des colons car ce qui se passe actuellement n’est ni l’œuvre des Allemands ni des belges, ni des Français ni des Anglais…. Cessons de fuir nos responsabilités. Ce sont les Rwandais eux-mêmes qui doivent résoudre leurs problèmes.
Si nos jeunes arrivaient à se dépouiller des tares que nous avons héritées, si les jeunes générations s’unissent pour combattre la renaissance de la discrimination antérieure à 1959 que le FPR est entrain de restaurer, même s’il ne manquera pas quelques parents inconscients qui vont continuer à tirer sur la corde ethniste, le conflit rwandais devrait s’estomper. Les nouvelles générations seront amenées de parler de lutte politique, d’adversaires politiques, et non pas d’antagonistes ou d’ennemis ethniques.
Les jeunes rwandais doivent donc se préparer à combattre toute dictature d’où qu’elle vienne, s’ils veulent avoir une part active dans la résolution du conflit rwandais, et pour ce faire ils doivent s’intéresser de la politique et y avoir une part active. L’énoncé dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme est très clair là-dessus: ‘‘…Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité et que l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme ; Considérant qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression…”.
4. Conclusion
La bonne compréhension du problème Hutu Tutsi reste le talon d’Achille de la réconciliation rwandaise. En vue de préparer le dialogue inter-rwandais, l’UFDR envisage d’organiser des débats de fond sur la dimension ethnique du pouvoir au Rwanda, avec l’intervention des spécialistes en la matière. Seule la confrontation d’idées peut permettre la recherche de solutions adaptées aux exigences de notre temps et à la conjoncture politique actuelle de notre pays.
L’idéologie du RDR, en parfaite harmonie avec le programme politique de l’UFDR, précise que : « La crise politique rwandaise ne date pas de 1990, elle se place bien avant la révolution de 1959, année à laquelle fut abolie la féodalité monarchique qui avait institutionnalisé l'inégalité basée sur les ethnies en système de gouvernance. Après cette révolution sociale, les nouveaux régimes ont sombré dans un déviationnisme qui a basculé la gouvernance du pays sous différentes formes d'exclusion notamment l'ethnisme et le régionalisme…
La nature de la question Hutu-Tutsi, principaux protagonistes de la lutte pour le pouvoir au Rwanda, est donc politique et ne peut être résolu que par une instauration sans détour d'une vraie démocratisation de la société rwandaise.
Les rwandais n'ont besoin d'autre réconciliation que d'avoir une démocratie pluraliste sous-tendant un Etat de droit. La solution aux problèmes rwandais exige un dialogue entre les différentes composantes de la société pour qu'ils se mettent d'accord sur un meilleur système de gouvernance et les règles de la gestion du pouvoir politique en établissant des arrangements constitutionnels et institutionnels qui sécurisent et rassurent tout un chacun. Ce processus devrait aboutir au renouveau démocratique d'un peuple réconcilié où la citoyenneté est une réalité dans les institutions et dans tous les secteurs de la vie du pays, et où les individus se reconnaîtront d'abord autour des idées politiques qu'ils partagent et non sur base de l'ethnicité. »
[1] - Union des Forces Démocratique rwandaise, Coalition constituée par le RDR (Rassemblement Républicain pour la Démocratie au Rwanda) et les FRD ( Forces de Résistance pour la Démocratie )
[2] - Front Patriotique Rwandais, Mouvement rebelle qui a attaqué le Rwanda en 1990 à partir de l’Ouganda, actuellement au pouvoir à Kigali.
[3] Parmi les recherches les plus récentes on peut citer notamment :
- Dr Antoine Nyagahene : Histoire peuplement ; Ethnies, clans et lignages dans le Rwanda ancien et contemporain
Thèse de Doctorat, Université Paris 7-Denis Diderot, France, 1997 ;
- Dr Innocent Nsengimana : Le Rwanda et le Pouvoir européen (1894-1952) ; Quelles mutations ?
Thèse de Doctorat, Université de Trèves (TRIER), République Fédérale d’Allemagne, 2003 ;
[4] - A. E. Gakusi et F. Mouzer : De la Révolution à la contre révolution ; Contraintes structurelles et gouvernance ; L’Harmattan 2003 ; pp 24- 28
- Eugène Ndahayo : Débâillonner le Rwanda ; pour un nouveau pacte social ; L’Harmattan 2003 ; pp. 36-48
[5] - Voir plaidoyer de Aloys Munyagaju cité par Eugène Ndahayo : Rwanda les en dessous des Cartes ; L’Harmattan 2000 ; pp 243-263
[6] - James Gasana : RWANDA :Du Parti-Etat à l’Etat-Garnison ; L’Harmattan 2002 : p26
[7] - François Soudan : Jeune Afrique - 20 février 2005 : RWANDA « Pourquoi la France nous hait »
[8] - Rapport de la Commission Parlementaire (FPR : ndr) sur l’idéologie génocidaire ; Parlement rwandais, 20 janvier 2004
[9] - Dr Antoine Nyagahene : op. cit. ; deuxième partie, chap. 3-5, p.220-239
[10] - Plateforme idéologique et projet de société du RDR ; http://www.rdrwanda.org/francais/principes_de_base
[11] - Innocent Nsengimana : op. cit. pp. 109-138
[12] - J. VANSINA, Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya. Karthala, Paris, 2001, pp.172-175, cité par Dr Nsengimana Innocent
[13] - RDR : Umurage w’amateka y’u Rwanda ; troisième partie (Umutwe III-3.3 ; www.rdrwanda.org/ publications
[14] - Eugène Ndahayo : Rwanda les en dessous des Cartes pp. 251-252
[15] - Antoine Nyagahene, Maniragaba Balibutsa et al : Les relations inter-ethniques au Rwanda à la lumière de l’agression d’octobre 1990 ; Editions Universitaires du Rwanda, Ruhengeri 1991 ; pp. 39-48
[16] - Eugène Ndahayo : Rwanda les en dessous des Cartes. p. 262
[17] - Eugène Ndahayo : Rwanda les en dessous des Cartes ; p. 249
[18] - A. Nyagahene, op. cit. pp. 179 et 231
[19] - E. Gakusi ; op. cit. p. 28.
[20] - Voir www.rdrwanda.org/documents
[21] - Voir www.rdrwanda.org/ mot de la présidence
[22] - Déclaration Universelle des droits de l’homme : article 1 et 3 ; www.rdrwanda.org/ Droits humains au Rwanda
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