Rwanda: polemiques autour du genocide - sortie du livre de Pierre Péan (Liberation 29-11-2005)
(Liberation 29/11/2005)
Rwanda
Rwanda, polémiques autour du génocide
La sortie du livre-enquête de Pierre Péan tend à relativiser le génocide des Tutsis en 1994 et risque d'empoisonner les relations déjà tendues entre Paris et Kigali.
par Christophe AYAD et Jean-Dominique MERCHETQUOTIDIEN : mardi 29 novembre 2005
Jusqu'où peut aller le politiquement incorrect ? Le pavé (1) que vient de jeter Pierre Péan dans la mare choque au-delà de tout ce qu'on a pu lire sur le sujet du génocide au Rwanda. Péan, enquêteur chevronné, n'est pas un obscur activiste gravitant dans les cercles nostalgiques du «Hutu Power» de la banlieue de Bruxelles. Péan, en général, c'est du lourd, des infos, des scoops... Noires fureurs, blancs menteurs est tout autant une enquête sur le génocide rwandais qu'un pamphlet contre tous ceux qui auraient «gobé» un «conte médiatique», le «récit simpliste» communément admis d'un génocide dont le véritable auteur, selon Péan, serait Paul Kagame, l'actuel président du Rwanda, qu'il accuse non seulement d'avoir voué à une mort certaine et en connaissance de cause les Tutsis de l'intérieur, mais aussi d'avoir massacré en plus grand nombre encore les Hutus.
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Ni la presse ni la communauté internationale n'ont sans doute assez enquêté sur les crimes du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame (actuellement au pouvoir à Kigali) avant, pendant et après le génocide de 1994. Le régime Kagame, en niant toute identité ethnique, impose au Rwanda une autocratie qui ne dit pas son nom, où les opposants, et même toutes les voix déviantes, sont pourchassées, et réduites au silence. Mais de là à faire de Kagame «un Führer qui serait devenu directeur de Yad Vachem, le musée de la Shoah...», il y a plus qu'un pas, la relativisation d'un des deux seuls génocides du XXe siècle à avoir été pleinement reconnus par l'ONU (ce qui n'est toujours pas le cas génocide arménien).
Sans nuance. Péan, qui semble très préoccupé de la postérité de François Mitterrand et du rayonnement de la France face à «l'Empire» anglo-saxon on suppose se livre aussi à un éloge sans nuance de l'action de la France au Rwanda. Les relations, déjà exécrables, entre Paris et Kigali risquent d'en pâtir encore un peu plus. L'ouvrage reprend et confirme les conclusions du juge Bruguière sur l'attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au président hutu Habyarimana et déclenché le génocide le coupable ne serait autre que Kagame. L'instruction du juge antiterroriste, initiée par la plainte des familles des servants français du Falcon 50 présidentiel, est bouclée depuis cet été, mais il n'a toujours pas transmis ses conclusions au parquet. Elles pourraient se traduire par l'ouverture d'une information judiciaire visant le président rwandais en exercice. Paris n'en veut à aucun prix, tant les retombées risquent d'être dévastatrices. Kigali a des moyens de représailles, à travers la plainte contre X déposée à Paris au Tribunal des armées par des rescapés du génocide (lire page 4) qui accusent des militaires français d'avoir aidé les génocidaires, voire d'avoir participé aux exactions lors de l'opération Turquoise.
Ambiguïtés. Pour l'armée française, le Rwanda reste un cadavre dans le placard. Officiellement, tout va bien. «Nous sommes le seul pays à avoir déclenché une opération humanitaire, alors que la communauté internationale ne voulait rien faire», répète-t-on dans les états-majors. Pourtant, sous la pression de la presse et d'ONG comme Survie, une mission parlementaire d'information pointait, dès décembre 1998, les ambiguïtés des interventions françaises dans un rapport de près de 2000 pages. Sous la plume du socialiste Paul Quilès, le rapport concluait toutefois que «notre pays peut et doit être fier de l'action qu'il a conduite».
Droite et gauche françaises n'ont jamais polémiqué sur les choix opérés par François Mitterrand et assumés par Edouard Balladur, en pleine cohabitation au moment du génocide. En 2003, Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, utilisait l'_expression ambiguë «des génocides» rwandais, accréditant la thèse de massacres commis de part comme d'autre. Une telle unanimité résisterait-elle à un déballage judiciaire ?
par Christophe AYAD et Jean-Dominique MERCHET
QUOTIDIEN mardi 29 novembre 2005
(1) Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Mille et une nuits, 544 pp., 22 €.
Rwanda Pierre Péan estime que son enquête apporte une «nouvelle grille de lecture»«Réviser une histoire truquée»
Pierre Péan, 67 ans, journaliste, a publié une vingtaine de livres d'enquête, dont Affaires africaines (1983) sur les relations franco-africaines, Une jeunesse française (1994) sur François Mitterrand et la Face cachée du Monde (avec Philippe Cohen, 2003). A l'occasion de la sortie de Noires fureurs, blancs menteurs, il répond à Libération.
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Sur quoi vous fondez-vous pour affirmer que l'avion du président Habyarimana a été abattu sur ordre de Paul Kagame ?
Je me fonde d'abord sur mon enquête personnelle, que j'ai commencée en 1997 dans Actuel, puis en 2000, dans le Vrai Papier Journal. Par la suite, j'ai retrouvé des choses complémentaires, notamment les interceptions téléphoniques qui ont eu lieu dans les heures qui ont suivi l'attentat. Pour moi, l'enquête du juge Bruguière va vers la vérité. J'ai la certitude que cela été un attentat monté par le FPR et Kagame lui-même.
Est-ce que cela remet en cause la réalité du génocide qui a suivi ?
Partant de l'attentat, je propose une nouvelle grille de lecture de la tragédie rwandaise. Je ne mets pas en cause le génocide, mais je replace cette histoire-là dans une histoire qui commence en octobre 1990. Paul Kagame et son entourage connaissaient parfaitement les conséquences de l'attentat ils ont la responsabilité première de la tragédie rwandaise. Je remets tout en cause. J'insiste beaucoup sur les violations et les massacres commis par le FPR, sans nier pour autant les massacres commis par les extrémistes hutus.
Pourquoi l'enquête du juge Bruguière n'est-elle suivie d'aucun effet ?
Je n'ai pas d'explication. Bruguière a terminé son enquête. Je suis bien obligé de me poser des questions.
Vous affirmez que le nombre des victimes faites par Kagame est supérieur à celui du génocide des Tutsis. Cette thèse du double génocide est une forme de négationnisme...
Toute ma lecture est d'inscrire cette histoire-là à partir d'octobre 1990. Pour moi, il y a trois choses tout à fait importantes. L'attaque et non le mouvement de libération lancée le 1er octobre 1990 par le FPR avec l'aide de l'Ouganda, alors qu'il y avait des négociations avancées sur le retour des réfugiés tutsis, est le premier acte. Le deuxième est toute la désinformation qui a été faite sur les attentats, perpétrés par le FPR et attribués aux extrémistes hutus. Attentats qui avaient pour objectif de créer des clivages ethniques encore plus profonds. Enfin, le point d'aboutissement, qui est l'attentat. J'ai parfaitement conscience que par rapport à l'histoire officielle d'aujourd'hui, j'encours le risque d'être taxé de révisionnisme. Je l'assume, parce que je considère que l'histoire est truquée, complètement truquée. Et la seule façon de faire, quand l'histoire est truquée, c'est de la réviser. La version communément admise, d'un génocide des Tutsis par des extrémistes hutus ne suffit pas, et de loin, à décrire la tragédie rwandaise.
Vous absolvez totalement la France de son action, que ce soit avant 1994, alors qu'elle appuyait un régime raciste, pendant le génocide, lorsqu'elle a fermé les yeux, enfin à l'occasion de l'opération Turquoise, aux objectifs ambigus.
La vision de François Mitterrand a, encore aujourd'hui, sa pertinence pour lui, l'arrivée par la force de Paul Kagame était dangereuse pour l'équilibre du pays et de la région. C'est une politique qui n'a pas réussi, c'est clair. Mais quand on reproche à la France de ne pas avoir fait pression sur Habyarimana, c'est complètement faux. A partir d'avril 1992, Habyarimana avait perdu pratiquement tous ses pouvoirs. Donc, est-ce que la France a été complice d'un régime génocidaire non !
Par contre, c'est la France qui a légitimé le FPR et lui a donné une crédibilité internationale. D'avril à juin 1994, Paris n'a fait que traiter avec un régime reconnu internationalement. Quant à Turquoise, j'ai démoli la thèse du livre de Patrick de Saint-Exupéry (1) qui accuse l'armée française d'avoir volontairement attendu pendant trois jours que les Tutsis de Bisesero soient massacrés. J'attends qu'on me prouve que j'ai tort. La France est critiquable, mais pas du tout dans ses intentions. La question que je pose dans le livre, c'est est-ce qu'on devait y aller ?
Vous dénoncez les manipulations d'un lobby pro-Kagame très sophistiqué et très puissant. N'est-ce pas très exagéré ?
Pour la première fois depuis onze ans, je donne une autre version que celle développée par Survie [association militant contre la "Françafrique" et dirigée jusqu'à sa mort en juillet par François-Xavier Verschave, ndlr], Jean-Pierre Chrétien [professeur d'histoire et directeur de recherches au CNRS, aujourd'hui à la retraite, ndlr] et la grande presse, à l'exception de Stephen Smith [journaliste à Libération puis au Monde, aujourd'hui indépendant]. Même si Survie est une petite association, elle a petit à petit donné le la. Elle a eu énormément d'impact dans la plupart des associations qui s'occupent des rapports Nord-Sud.
par Christophe AYAD
QUOTIDIEN mardi 29 novembre 2005
(1) L'Inavouable, éd. Les Arènes, 2004.
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